Christian, le naturel musicien
A en croire le succès des émissions comme la « Nouvelle Star » ou « the Voice », on aurait tendance à penser que devenir musicien est uniquement une question de talent et de chance. Le gagnant repart avec au minimum la production de son premier album et les (milliers de) perdants n’ont plus qu’à retourner dans leur salle de bain faire des vocalises sous la douche. Or c’est un peu oublier qu’artiste, c’est un métier comme les autres où pour faire carrière il faut du travail, de la persistance et de la créativité.
Nous avons rencontré Christian Mariotto, un marseillais exilé à Nancy (et oui ça existe !), batteur de jazz dans plusieurs formations musicales de Nancy pour qu’il nous raconte sa vie d’artiste professionnel.
Jalonné de coups du hasard, de choix décisifs, d’encouragements familiaux, de remises en question, de rencontres pertinentes et souvent déterminantes, le parcours musical de Christian est atypique et pourrait à lui seul saturer les serveurs de Google. Nous l’avons écouté, bercé par son accent du sud (celui où en entend les cigales), et nous vous en livrons quelques morceaux choisis.
Christian, quand on te demande ce que tu fais comme métier, tu réponds quoi ? Batteur, artiste, musicien, intermittent, compositeur, …
« En fait, c’est tout ça! En ayant choisi de faire de la musique je me suis retrouvé à avoir un statut par rapport à notre société française qui est celui de l’intermittence. Ensuite j’ai participé à des projets créatifs en tant qu’artiste.
Je joue de la batterie qui est au départ un instrument d’accompagnement. Mais j’ai besoin de participer à la création. J’essaie d’écrire, de composer et d’être dans des processus créatifs.
Alors je suis intermittent, artiste, accompagnateur, et pédagogue parce que je donne aussi des cours de musique.
En bref je partage mon activité entre enseignement, musique, répétition, montage de projet et de répertoire, écriture et concert. »
Cela fait environ 25 ans que tu mènes ta vie à la baguette. Ca t’est venu comment ?
Premiers contacts avec la musique
« Je suis issu d’un milieu populaire, de parents immigrés italiens. Il y avait toujours de la musique et de la danse à la maison. De la variété, de la musette, du jazz New Orleans, de l’opéra, … c’était très varié.
Quand j’avais 9-10 ans, ma sœur plus âgée que moi, baignée dans la culture baba cool écoutait du rock, du folk. Son copain de l’époque avait deux passions : l’alpinisme et la batterie. Il m’a refilé les deux virus !
Un jour je suis arrivé dans une de ses répétitions dans son salon. Il jouait des trucs comme Magma, plutôt rock progressif. J’étais subjugué qu’il puisse refaire les morceaux du disque. Pendant la pause je me suis mis à taper sur la caisse claire, et en rentrant chez moi j’ai dit « je veux faire de la batterie ».
Premiers apprentissages
On m’a envoyé dans une école pour apprendre les rudiments de l’instrument. Mais quand il a fallu apprendre le solfège, ça m’a un peu découragé. Moi ce que je voulais c’était jouer avec les autres. J’ai fait 3 ans où je regardais les instruments, piano, basse, guitare. Et chaque année on nous faisait faire des duos de batterie, des trios de batterie, des quartet de batterie … tant et si bien qu’à la fin la batterie ça me gavait !
Premiers doutes
Vers 12-13 ans j’ai laissé tomber les cours. La musique était plus un exutoire que quelque chose que je devais apprendre. Elle était omniprésente mais récréative. Je me suis tourné vers le sport et l’escalade, mon autre passion avec l’idée de devenir guide.
Vers 16 ans j’ai fait une chute en escalade et psychologiquement ça a freiné mon élan.
Premières rencontres
Dans ma deuxième année de seconde j’ai rencontré des gens déterminants dans mon parcours qui sont encore mes meilleurs amis actuellement dont l’un est un des meilleurs batteurs français, Franck Agulhon.
Franck avait trouvé un bon prof et je me suis laissé entraîner. J’étais assidu au cours mais je n’étais pas le plus doué par rapport à Franck. Il m’a donné le gout du travail. Le prof nous amenait partout où il jouait (les clubs, etc …) et ça m’a donné vraiment envie de continuer.
Premier concert
Avec Franck on a fait le premier concert de notre vie ensemble. Il avait trouvé des musiciens avec qui il a continué par la suite. Mais moi j’ai pas retrouvé de groupe après, alors qu’il n’y a rien de plus motivant que de jouer ensemble. C’était ce que je voulais. Sans cette notion de groupe la musique pour moi n’était pas censée devenir un métier. Et pendant un certain temps la musique est restée là à coté de moi sans être encore un choix de vie. J’ai découvert la poésie et la littérature… ce que je trouvais ringard jusqu’ici !
Premier groupe
Quand j’avais 19 ans j’ai rencontré un jeune guitariste qui faisait la manche dans la rue. Il s’appelait « Johnny » et ressemblait à Morrisson… ça ne s’invente pas ! Il cherchait à faire un groupe et j’entendais les autres étudiants le snober. Ca m’a dégoûté. Je suis allé le voir et je lui ai dit ‘Tu veux faire un groupe ? Et bien moi je suis batteur’. Et tout est parti de là…. Premier groupe de rock « les Chérubins », premiers concerts, premiers enregistrements, premiers cachets …
J’avais enfin ce que je cherchais depuis longtemps. Et comme je n’étais pas novice et que j’avais plein d’énergie j’ai été vite remarqué. On a joué avec des musiciens chevronnés et exigeants, ça me mettait la pression, mais c’était une période magique. On répétait chez mes parents qui préparaient les pastas et mon père nous amenait aux concerts avec son break d’artisan.
Deux ans après, Johnny, le chanteur du groupe des « Chérubins » est décédé. J’ai recommencé à douter, à ne plus savoir où je devais aller.
La montée en Lorraine
Franck Agulhon qui était devenu prof au CMCN de Nancy m’a dit de venir le rejoindre avec mon pote guitariste. Je me suis dit ‘OK j’y vais. Si ça marche je continue la musique, sinon j’arrête définitivement’.
J’y suis allé. Il y avait des côtés qui me plaisaient et d’autres moins voire pas du tout. Mais je me suis accroché, pour moi, pour mes parents qui finançaient cette école. Là aussi j’ai rencontré des gens intéressants, dont un batteur qui venait de Bretagne. On s’est motivés ensemble et on a fini ex-aequo : diplômés avec les honneurs, plus mention spéciale du jury, plus … !
A la limite je m’en foutais du titre à rallonge. Ce qui importait c’était cette victoire commune qu’on avait eu tous les deux.
Après on s’est rendu compte qu’en Lorraine il y avait des esthétiques musicales qui nous plaisaient et on y est restés. On a rencontré plein de gens avec qui on travaille toujours aujourd’hui.
Je suis donc devenu à partir de ce moment professionnel … mon premier job a été de faire des cours d’éveil musical … faut bien payer son loyer.
Ma carrière commençait … »
Comme tu le dis, vivre de la musique uniquement n’est pas si simple. La réalité du quotidien a vite fait de rattraper les rêveurs, les romantiques et les poètes. Une journée idéale pour un artiste comme toi ce serait quoi ?
« Alors une journée idéale d’un musicien serait de se lever et travailler son instrument, de faire une répétition ou une session l’après midi avec un groupe et d’aller faire un concert le soir et que cela se répète tous les jours de la semaine.
Se consacrer uniquement à la musique et avoir l’opportunité de jouer le plus souvent possible ça c’est une journée idéale !
Mais c’est difficilement réalisable.
Déjà, il y a moins de travail aujourd’hui. Avant de pouvoir jouer tous les soirs faut se lever de bonne heure. On n’est pas à New York. On fait avec la crise.
Et puis il y a la vie que tu mènes. Les choix que tu fais. Aujourd’hui je vis avec Delphine, je suis père de famille et tout cela rentre dans l’équation. Quand il faut que je m’occupe d’eux je le fais. Et je suis reconnaissant à Delphine de pouvoir me permettre de faire ce que je fais.
Dans l’idée de la vie de musicien, il y a des cotés romantiques, mais il y a des moments où ça ne fait plus rêver. Si demain tu n’arrives plus à payer les traites parce que tu as moins de boulot ce n’est plus pareil. J’ai eu de la chance de rencontrer quelqu’un qui me soutient dans ces périodes et de pouvoir continuer dans la musique. Et c’est pas toujours facile pour elle.
Alors dans mon équation de vie idéale il y a tout ça mélangé. Ma famille et la musique.
Pour ce qui est de mon quotidien de musicien, je travaille mon ‘biniou’ (c’est comme cela que Christian appelle sa batterie … bizarre non ?), je fais de l’écoute de musique, je regarde des vidéos, je répète, je fais des sessions, et éventuellement des concerts. D’une semaine à l’autre c’est différent. La seule routine c’est les cours que je donne.
Mon travail est guidé par les projets sur lesquels je travaille.
Ce que j’aime dans la musique c’est l’idée de chercher, d’expérimenter. J’y trouve un côté ludique.
Après 20 ans de pratique il faut toujours être à la page et bosser, bosser. Ce qui compte c’est les heures de vol qu’il faut cumuler en concert. Le travail que tu fais tout seul il faut l’éprouver avec les autres. Et aujourd’hui les heures de vol elle manquent. »
Toi qui a eu des relations un peu particulières avec l’école, l’éducation et la formation, tu te retrouves maintenant enseignant. Comment tu abordes cet aspect de ton métier ?
« Aujourd’hui les jeunes ont un environnement (avec internet notamment) et des formations meilleurs que ce qu’on a pu avoir à notre époque. Ils ont un super niveau à la sortie et ça leur permet de rentrer dans le marché du travail et d’aller voir directement des pointures pour aller encore plus loin.
Moi, dans les cours que je pratique, j’essaie d’être le prof que je n’ai pas eu. Dans la mesure du possible j’essaie de créer une relation avec chaque élève. Comme chaque individu est unique et chaque parcours aussi, j’essaie de savoir qui ils sont pour les guider au mieux. Je leur apporte ma vision du système actuel, la place de la musique dans la société.
Quand mon fils s’est intéressé à la musique je lui ai répondu ‘ta génération ne peut pas papillonner, vivoter comme nous on l’a fait. Tu es obligé d’être au courant de ce qu’il se fait. Si tu veux vivre de la musique il faut que tu obtiennes des diplômes pour éventuellement trouver du travail dans des branches parallèles ou annexes, comme l’enseignement. Plus tôt tu commences et plus tôt tu rentres dans les clous de ce système, mieux tu pourras choisir ce que tu veux faire après et plus tu seras libre.’
Nous on croyait être libre quand on a commencé, et aujourd’hui on ne l’est plus. Mon conseil, si vous voulez être libre de vos choix, acceptez d’être dans un système qui peut être contraignant. la vrai difficulté c’est de garder intacte la motivation initiale, cette envie viscérale qui nous donne envie de faire comme nos musiciens préférés. Il faut garder ça intact malgré les parcours scolaires qui donnent accès aux diplômes …
Si moi en tant qu’enseignant j’arrive à maintenir ça chez l’élève j’y gagne quelque chose. C’est le seul conseil que je puisse donner. Se protéger pour garder la flamme et espérer un jour avoir le choix et une forme de liberté. »
La carrière musicale de Christian n’est pas née d’un passion dévorante. La musique est seulement une évidence dans sa vie. Je suis sûr que si on examinait son ADN au microscope on y verrait quelques mélodies. Son instrument, son ‘biniou’ comme il dit, c’est son moyen d’exprimer ce qu’il a au plus profond de lui-même et de faire ressortir sa poésie. Il suffit d’aller le voir en concert pour comprendre que pour lui la batterie est loin d’être un instrument d’accompagnement.
Tous les projets de Christian : La compagnie Latitudes 5.4
Le dernier projet en date : les SHOPLIFTERS, un collectif qui réinterprète les musiques anglaises des années 80 (The Cure, Joy Division, The Smiths, Lou Reed, David Bowie ..). Arrangements : Michael Cuvillon (Saxophones) et Christian Mariotto (Batterie)
Alexandra Prat: Voix
Sébastien Maire: Contrebasse
Philippe Canovas: Guitare
La page Facebook : https://www.facebook.com/shopliftersmusic
Christian en solo